pour une parentalité féministe
Publiée dans « Le Monde » du 27 mai 2018 à l’occasion de la Fête des mères, cette tribune marque la fondation de notre collectif. Elle a été signée par 89 femmes, dont Christine Delphy, Annie Ernaux, Yvonne Knibiehler et Michelle Perrot.
Puisque M. Macron se félicite d’écouter la voix des « mamans », parlons de celles que nous préférons appeler – dans un langage adulte – les mères, et de la maternité comme expérience face à laquelle toutes les femmes sont sommées de se positionner. Il y a, quand les femmes approchent de la trentaine, cette question posée sans détours dans les cercles familial ou professionnel : « Alors les enfants, c’est pour quand ? » Tout le long de la grossesse, ce regard porté sur ce qu’elles mangent, boivent, font ou ne font pas « pour le bébé ».
Cette incroyable solitude du congé maternité, quand l’autre parent travaille et que le nouveau-né ne laisse aucun répit, ni pour se doucher, ni pour déjeuner. Ces collègues qui s’étonnent de les voir demander une promotion alors qu’elles rentrent de congé maternité. A l’inverse, il a ces femmes qui doivent régulièrement se justifier de ne pas avoir eu d’enfant.
Depuis l’inscription dans la loi du droit à la contraception et à l’IVG, on pourrait croire que les femmes en France choisissent librement d’être mère ou non, au moment qui leur convient. A ces avancées législatives fondamentales, il manque la mise en œuvre des changements nécessaires pour obtenir l’égalité des sexes : nous vivons dans un monde où la parentalité est toujours considérée comme une histoire de (bonnes) femmes. Et où, en miroir, on ne pourrait atteindre l’essence de la « féminité » (sans qu’on sache exactement ce à quoi ce terme renvoie…) qu’à condition d’avoir mis des enfants au monde.
La maternité est pourtant une expérience plurielle que chaque femme devrait pouvoir investir de pratiques et d’affects différents. Elle ne doit pas être un frein à notre émancipation, a fortiori pour celles d’entre nous qui, en plus du sexisme, vivent des injustices liées à d’autres expériences : femmes des classes populaires, racisées, migrantes, à l’orientation sexuelle autre qu’hétéro, et/ou dont les corps et le psychisme n’entrent pas dans les canons socialement admis. Dès lors, les grossesses ne doivent plus priver les femmes enceintes et les parturientes de leur pouvoir d’agir et de décider quant à leur intégrité physique. Elles doivent pouvoir accoucher dans le respect.
Fausse évidence
Il ne faut plus que, faute d’un congé obligatoire et suffisamment long pour permettre une implication réelle du deuxième parent, les femmes hypothèquent leur santé mentale et physique en accomplissant, seules ou presque, le travail qui consiste à prendre soin d’un petit humain. Avec la directive actuellement en discussion sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants proches, concédons que l’Union européenne fait preuve d’un certain progressisme sur le congé parental. Mais ce texte est pour le moment insuffisant. Quant à la position de blocage adoptée par le gouvernement français sur ce point, elle est tout bonnement incompréhensible.
Les femmes n’ont pas à être seules après la naissance, en proie au doute et à la culpabilité, intériorisés malgré elles tant on leur laisse croire que le bien-être physique et émotionnel des jeunes enfants – et particulièrement des bébés – dépend tout entier des mères et d’elles seulement. Nous ne voulons plus de cette fausse évidence selon laquelle, la présence des mères (mais seulement une à la fois !) serait naturellement plus nécessaire que celle des pères.
D’autant que les études le prouvent : cette prise en charge essentiellement monoparentale du nourrisson fait le lit d’inégalités de genre dans la sphère domestique. Pour quelles raisons logiques celles qui peuvent porter neuf mois leur enfant devraient-elles prendre en charge matériellement, émotionnellement et mentalement une vie de famille qui dure des années ? Pourquoi devraient-elles assumer le rôle de « manageuse du foyer » ?
Les mères sont aussi des sujets politiques
Les femmes n’ont pas à accomplir la majorité de ces tâches qui les épuisent comme elles ont épuisé leur mère et leurs grands-mères. Ce travail gratuit, peu valorisé car considéré comme « naturel », détermine leur parcours professionnel, et par conséquent, conditionne leur nécessaire autonomie financière. Lorsqu’il est rémunéré, il est encore réalisé par des femmes, sous-payées, peu reconnues, en horaires décalés. Au mépris de leur vie personnelle.
Les injonctions qui pèsent sur la maternité sont tellement contradictoires que toutes les mères finissent par se sentir mauvaises : elles ne font jamais comme il faut, jamais suffisamment ou toujours trop. Elles demandent de l’aide ? C’est un signe qu’elles sont faibles. Elles n’en demandent pas ? C’est qu’elles ne mesurent pas l’ampleur de leur responsabilité. Elles décident se consacrer fortement à leurs enfants ? Quelle marque suprême d’aliénation ! Elles réclament du temps pour elles ? Quelle monstrueuse manifestation d’égoïsme !
Mauvaises mères, elles sont aussi mauvaises travailleuses : tantôt on leur conteste, au motif de leurs occupations familiales, l’accès aux activités pour lesquelles elles ont les compétences ; tantôt on les suspecte, parce qu’elles ont décidé d’investir fortement la sphère professionnelle, d’être des femmes dénaturées. La vie des femmes ne doit pas être entravée par une parentalité qui ne pèse que sur elles.
Les changements à mettre en œuvre sont politiques et sociaux. Il est temps d’ouvrir un large débat pour repenser et refonder les conditions sociales de la maternité. Les mères sont des sujets politiques comme les autres : nous prenons la parole, il est temps de nous entendre.
- Camille Andres, journaliste indépendante (femmesleaders.ch)
- Hélène Assekour, journaliste
- Léa Bages, journaliste
- Lauren Bastide, journaliste
- Alix Bayle, journaliste, réalisatrice
- Corine Berté, orthophoniste
- Mathilde Bertrand, enseignante-chercheuse
- Hélène Bidard, adjointe à la Maire de Paris
- Charlotte Bienaimé, documentariste
- Sophie Binet, pilote du collectif confédéral femmes-mixité de la CGT
- Chantal Birman, sage-femme
- Mathilde Bouychou, psychologue clinicienne-psychothérapeute, référente Île-de-France de l’association Maman Blues
- Marie-Georges Buffet, députée PCF
- Béatrice Cascales, co-auteure de L’Accouchement est politique
- Mathilde Castelli, coordinatrice linguistique
- Marie Cervetti, présidente du FIT
- Laurence Cohen, sénatrice PCF
- Laurence De Cock, historienne
- Cécile Croquin, secrétaire et trésorière de l’association Maman Blues
- Mélanie Déchalotte, journaliste et documentariste, auteure du Livre noir de la gynécologie
- Christine Delphy, sociologue
- Iris Derœux, journaliste
- Judicaëlle Dietrich, géographe
- Valérie Dokhan, médecin
- Emma, auteure de blog et dessinatrice féministe
- Camille Emmanuelle, auteure et journaliste
- Annie Ernaux, écrivaine
- Alexia Eychenne, journaliste
- Nina Faure, réalisatrice
- Amandine Fouillard, co-animatrice du livret égalité femme-homme de France Insoumise, responsable des Féministes Insoumis.es
- Claire Fretel, metteure en scène, cofondatrice de la compagnie Les Filles de Simone
- Alexandra Garcia-Vilà, réalisatrice
- Françoise Gaspard, sociologue
- Sidonie Gaucher, journaliste
- Tiphaine Gentilleau, comédienne, cofondatrice de la compagnie Les Filles de Simone
- Oriane Graciano, orthophoniste, membre du bureau de Pour une M.E.U.F.
- Alice Guastalla, sage-femme au CALM
- Deborah Guy, doctorante en sociologie
- Bérénice Hamidi-Kim, maîtresse de conférences en études théâtrales
- Amandine Hancewicz, chargée de mission lutte contre les discriminations
- Estelle Havard, cadre territoriale
- Julie Hebting, coordinatrice de projet, co-fondatrice de Maydée
- Sophie Heitz, responsable de projets
- Clémence Helfter, coordinatrice de la campagne #VieDeMère de l’Ugict-CGT
- Coline Herbomel-Ringa, architecte D.E., membre de la commission politique du CALM
- Emmanuelle Josse, free lance en édition et communication
- Béatrice Kammerer, journaliste, fondatrice Les Vendredis Intellos
- Yvonne Knibiehler, historienne des mères et de la maternité
- Catherine Laforest, médecin généraliste
- Rose-Marie Lagrave, sociologue, directrice d’études à l’EHESS
- Marie-Hélène Lahaye, juriste, auteure du blog Marie accouche là
- Mathilde Larrère, historienne
- Rozenn Le Saint, journaliste
- Carole Mettavant, kinésithérapeute sexologue
- Danielle Michel-Chich, journaliste, auteure
- Pascale Molinier, psychologue sociale
- Emilie Moreau, psychologue, sexologue
- Laëtitia Négrié, co-auteure de L'accouchement est politique
- Marianne Niosi, journaliste, animatrice au MFPF
- Chloé Olivères, comédienne, cofondatrice de la compagnie Les filles de Simone
- Mathilde Panot, députée France Insoumise
- Blandine Pélissier, comédienne, traductrice
- Michelle Perrot, historienne, professeure émérite de l’Université Paris Diderot
- Claire Piot, déléguée générale
- Elsa Pottier Casado, co-auteure du blog Maternités féministes, animatrice au Planning familial 92, membre du CALM
- Geneviève Pruvost, sociologue
- Sandra Regol, porte-parole Europe Écologie Les Verts
- Béatrice Renard, membre du collectif Maternités
- Valérie Rey-Robert, auteure du blog Crêpe Georgette
- Annie Richard, universitaire, présidente de Femmes Monde
- Virginie Ringa, chercheure en santé publique, Inserm
- Alice Rocq-Havard, sage femmes sexologue, présidente de l'ANSFO
- Axelle Romby, médecin sexologue
- Patrizia Romito, psychosociologue
- Anne-Françoise Sachet, sage-femme
- Moïra Sauvage, journaliste et auteure
- Geneviève Sellier, historienne du cinéma
- Rosanna Sestito, sage-femme
- Charlotte Soulary, responsable de la commission féminisme d'Europe Écologie les Verts
- Gwenola Sueur, formatrice
- Sylvie Tissot, sociologue
- Sezin Topçu, sociologue des techniques, Cnrs-Ehess
- Marie Toussaint, déléguée à l’Europe et à la jeunesse au bureau exécutif d’EELV
- Laura Vallet, bibliothécaire, co-auteure du blog Maternités féministes
- Caroline Viau, cadre territoriale, syndicaliste
- Anne-Sophie Vozari, doctorante en sociologie
- Bozena Wojciechowski, adjointe au maire d’Ivry-sur-Seine
- Anne-Sophie Zambeaux, responsable de communication
- Juliette Zuber, assistante de service social